Former les professeurs de lycée à la cartographie des controverses

publié par Equipe FORCCAST le 25 juin 2019

catégories Art oratoire · Controverses · Enseignement secondaire · Formation des formateurs · Les actions · Les publics · Simulations

L’année 2018-2019 a été marquée par le déploiement de nombreuses formations à destination des professeurs de l’enseignement secondaire. La montée en puissance engagée depuis plusieurs années dans la diffusion de la cartographie des controverses au lycée s’est accentuée alors même que la réforme qui va se mettre en place à la rentrée de septembre a fait évoluer les pistes pédagogiques proposées jusqu’alors. En effet, les Travaux personnels encadrés (TPE) disparaissant, l’insistance a été notamment mise sur l’apport de cette démarche pour travailler l’oral via l’organisation de simulations de débats afin d’outiller les élèves dans la perspective de la future épreuve dite du “grand oral”.

Le succès de la simulation organisée à SciencesPo en novembre dernier a été l’un des moments phares du partenariat engagé entre Forccast et l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE). Il a conduit à concevoir une nouvelle phase d’accompagnement des équipes. La collaboration s’est ainsi poursuivie cette année à travers une formation de deux jours et demi au lycée français de Porto au début du mois de février 2019. Il s’agissait de proposer un stage d’approfondissement à la quinzaine d’enseignants du réseau impliqués depuis janvier 2018. L’objectif était de leur permettre de gagner en compétences dans la connaissance du domaine des “Sciences, Techniques, Sociétés” (STS) au fondement de la démarche. Ce souci de consolider la maîtrise des contenus sociologiques sous-tendant l’exercice a été motivée par le fait qu’ils vont être amenés à initier des collègues d’autres établissements de l’AEFE : en effet, à compter de septembre 2019, au moins cinq nouveaux établissements (Cotonou, Lisbonne, Munich, Rome et Oslo) vont se lancer dans l’exercice, parrainés par les cinq établissements “pionniers”. Les enseignants de ces derniers vont ainsi contribuer à soutenir ces équipes, témoignant de leur expérience acquise au cours de l’année scolaire écoulée. Cette dynamique est le signe de l’adhésion et du soutien que suscite cette pédagogie. Celle-ci a d’ailleurs été définie, grâce à la mobilisation de l’inspectrice Christine Jacquemyn, comme une “action pédagogique pilote Monde” par le département de la pédagogie de l’AEFE et prépare un ambitieux programme de formation.

Lycée français de Porto, 4 février 2019

Par ailleurs, l’action développée depuis bientôt trois ans dans le cadre du plan académique de formation de l’Académie de Créteil a été reconduite et étendue. En effet, cette année, ce ne sont pas moins de trois groupes de stagiaires (soit près de soixante-quinze enseignants en tout) de l’Académie de Créteil qui se sont retrouvés chacun pour trois jours – deux groupes (en novembre et en février) au lycée Germaine Tillion du Bourget et un autre à SciencesPo (en janvier). Pour ce dernier, et c’était une nouveauté, des professeur.e.s de l’Académie de Paris participaient également au stage, signe de l’intérêt d’académies jusqu’alors non concernées par les formations.

Le stage de janvier a combiné trois matinées de présentation par des spécialistes : se sont succédé le directeur de Forccast Nicolas Benvegnu, la sociologue Madeleine Akrich de Mines ParisTech et Dominique Cardon, directeur du Médialab de SciencesPo. Si Nicolas Benvegnu a introduit la notion de controverse et ses liens avec les science studies, Madeleine Akrich a développé de son côté un point plus spécifique sur la manière dont les situations de controverses permettent d’appréhender la co-construction de la technique et de la société ; enfin Dominique Cardon a rappelé quelques éléments fondamentaux sur le fonctionnement d’Internet et en particulier sur la place des algorithmes, éléments décisifs pour accompagner les élèves dans leurs recherches et explorations de sujets controversés qui immanquablement produisent de très nombreux contenus sur la web. Les ateliers de l’après-midi avaient pour objectif d’éprouver tout à la fois par la pratique les concepts exposés par les spécialistes le matin et de présenter des exemples variés de mise en œuvre.

L’expérience conduite au lycée Léon Blum (Créteil) par Vincent Casanova avec une classe de 1e STMG dans le cadre du cours d’EMC (dédoublé soit dix-sept élèves à chaque fois) au cours d’un trimestre a notamment servi de fondement à la réflexion : toutes les étapes de la préparation à l’organisation d’une simulation de débat autour d’une salle de consommation à moindre risque (voir ici quelques éléments et ressources) ont été exposées. L’arène du débat choisie – un comité de voisinage organisé par la mairie – permet d’être au plus près des groupes mobilisés et de rendre compte de la vitalité de la controverse. Cela a été aussi l’occasion de définir un certain nombre de tâches possibles, voire indispensables, qui permettent de progressivement former les élèves à l’exercice – aussi bien quant au fait d’oser s’exprimer en public que de mobiliser de manière rigoureuse des arguments. C’est à la suite de cette formation que des enseignants du lycée Voltaire (Paris) ont décidé d’expérimenter la cartographie des controverses dès l’année prochaine, en classe de Seconde et dans le cadre du nouvel enseignement “Sciences numériques et Technologie”. Il se trouve qu’une partie des contenus de ce nouvel enseignement a été inspirée par les travaux de Dominique Cardon qui a participé au groupe de travail du Conseil supérieur des programmes : le travail de recherches via Internet peut ainsi trouver tout son sens pour élaborer un dossier documentaire sur un sujet, de même que la préparation, restitution et publication d’entretiens avec des acteurs impliqués dans une controverse. L’équipe Forccast apporte tout son soutien à cette initiative car il y a là une possibilité de conduire des petits exercices de sociologie des controverses en rappelant toutes les vertus de prendre le temps de l’enquête.

C’est précisément ce à quoi se sont astreints les élèves du lycée français Van Gogh de La Haye qui se sont engagés dans un travail sur les enjeux soulevés par la mode dite “durable”, avec l’aval de l’équipe Forccast : en mars, des élèves ont présenté devant un parterre de trois cents personnes, diplomates compris, les résultats de leur travail ; c’est le même thème qui a été retenu pour l’Inter-Conseil des délégués pour la vie lycéenne de la zone Europe organisé au même endroit en mai à destination des Conseillers principaux d’éducation : il s’est agi ainsi de leur montrer l’intérêt de travailler par la simulation de débats dans l’optique de développer aussi bien les compétences de prise de parole que l’importance de préparer celles-ci. Ce qui a pour conséquence en dernier lieu d’obliger l’enseignant à s’interroger sur les critères de son évaluation. De telles considérations avaient été au cœur des formations animées par Tiphaine Jones et Armelle Philip, respectivement professeure d’histoire-géographie au lycée de Vienne et d’Athènes et enseignantes expatriées à mission de conseil pédagogique. L’une et l’autre ont en charge la formation des équipes des établissements français dans la zone Europe de l’Est et Europe du Sud. Elles en concertation avec Vincent Casanova, intégré la cartographie des controverses dans leurs réflexions et propositions à destination de leurs collègues, dans le sillage de la formation reçue au cours du stage qu’elles sont suivi à Porto. La réflexion sur l’évaluation d’une telle activité s’est échafaudée à ces occasions.

Cette mise en garde a été au centre de la journée de formation organisée en avril pour les enseignants d’histoire-géographie de l’académie de Nice par l’École supérieure du professorat et de l’éducation (ESPÉ). Dans le cadre de la formation de jeunes professeurs – étaient réunis des stagiaires lauréats l’année passée des concours de recrutement d’enseignement ainsi que des titulaires exerçant en poste depuis deux ans au maximum -, les formateurs Éric Chaudron et Sandra Plantier ont invité Vincent Casanova à venir présenter la démarche de la cartographie de controverses et sa mise en œuvre possible, plus précisément dans le nouvel enseignement d’histoire-géographie-géopolitique-sciences politiques. Après une matinée d’introduction, l’après-midi a consisté en un atelier de réflexion d’une part sur les thèmes s’y prêtant (“S’informer: un regard critique sur les sources et modes de communication”), d’autre part sur le choix des items d’une grille de compétences évaluant les prises de parole au cours d’une simulation de débats. L’importance de ne jamais dissocier le fond de la forme dans leur formulation a été tout particulièrement soulignée : c’est bien l’un et l’autre qui s’articulent en permanence et ce afin de ne pas considérer l’art oratoire comme une technique à vide. La formation est reconduite l’année prochaine et débouchera sur la participation à un séminaire de réflexion avec les responsables pédagogiques de l’ESPE engagés dans la pédagogie par le jeu de rôle.

Enfin, une collaboration s’est engagée avec le programme Édifice porté par l’université d’Orléans. Initiatives d’excellence en formations innovantes (Idefi) au même titre que Forccast, ce programme met notamment “en relation des doctorants avec des élèves de lycées, dans le cadre de moments d’enseignement-apprentissage”. Par là, il s’agit de sensibiliser et faire comprendre comment se fabriquent les connaissances et fonctionne la recherche scientifique. Dans ce cadre, les responsables du programme Françoise Archimbault et Mélanie Cavalheiro ont souhaité ouvrir un parcours “cartographie des controverses”. Une première demi-journée de présentation a eu lien en mai. Associant aussi bien des enseignants du secondaire que des doctorants en sciences humaines et sociales, les formations assurées par Forccast permettront d’étayer et de donner les clés d’une mise en œuvre réussie. Il y a là la perspective d’une riche synergie entre deux programmes fortement impliqués dans le continuum bac-3/bac+3 et le développement d’un esprit critique et pleinement scientifique.